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Elizabeth May

Il serait tentant d’employer la même approche que le New Yorker avec le communiqué suivant et de le reléguer au fichier « Sans commentaires », puisque son absurdité se passerait bien de tout commentaire. Un beau vendredi après-midi, 16 mai 2008, Gary Lunn, ministre des Ressources naturelles, et Tony Clement, ministre de la Santé, ont fait la déclaration suivante (en toute justice, je reproduis ici la déclaration intégrale) :

« Le gouvernement du Canada accepte la décision du conseil d'administration d'Énergie atomique du Canada limitée (EACL) de mettre fin au projet des réacteurs MAPLE qui avait été lancé en 1996 dans le but de produire des isotopes médicaux. Douze ans plus tard, ces réacteurs n'ont jamais été mis en service et n'ont jamais produit d'isotopes médicaux.

La décision prise aujourd'hui n'aura pas d'effet sur l'approvisionnement en isotopes médicaux. Les installations NRU actuelles vont demeurer une source fiable d'approvisionnement continu. Le gouvernement communique présentement avec les provinces et les territoires ainsi qu'avec les principaux experts médicaux pour leur assurer qu'il n'y aura pas d'interruption dans l'approvisionnement.

La décision de mettre fin au projet des réacteurs MAPLE est le résultat d'un processus de diligence raisonnable mis en œuvre par la nouvelle équipe de gestion et le nouveau conseil d'administration d'EACL nommés par notre gouvernement en janvier 2008. Dans ce contexte de diligence raisonnable, le projet MAPLE a fait l'objet de nombreux tests, dont le dernier en avril 2008, et aucun n'a donné de bons résultats. Le conseil d'administration en est venu à la conclusion qu'il n'y avait aucune raison valable de poursuivre le projet MAPLE.

Le projet est depuis longtemps aux prises avec des problèmes tant techniques qu'économiques pour lesquels on n'a toujours pas trouvé de solution. Parmi les nombreux facteurs en cause, on peut citer :

  • des difficultés au plan de la réglementation et des disputes commerciales qui ont jusqu'à présent coûté des centaines de millions de dollars aux contribuables et au secteur privé;
  • des problèmes techniques qu'on n'a pu résoudre;
  • des inquiétudes sérieuses soulevées lors des examens menés par le Vérificateur général au sujet des coûts, des retards dans les travaux et des problèmes techniques.

Le gouvernement a demandé à EACL d'entreprendre des démarches pour le renouvellement de son permis d'exploitation afin de poursuivre les opérations du NRU et garantir un approvisionnement ininterrompu d'isotopes médicaux.

La décision de mettre fin au projet MAPLE est dans le meilleur intérêt des contribuables et permettra à EACL de concentrer ses efforts sur des activités commerciales qui sont plus rentables.

De par son engagement envers la bonne gouvernance, le gouvernement du Canada poursuit l'examen en cours d'EACL. Cet examen vise à nous fournir l'information dont nous avons besoin afin de prendre les bonnes décisions quant à l'avenir à long terme de la compagnie. »

Combien parmi vous ont été littéralement renversés par cette affirmation pour le moins surprenante?

« La décision prise aujourd'hui n'aura pas d'effet sur l'approvisionnement en isotopes médicaux. »

Vraiment?

Suivi de très près par cette grande promesse :

« Les installations NRU actuelles vont demeurer une source fiable d'approvisionnement continu. »

Les réacteurs MAPLE étaient considérés essentiels au maintien de la production des isotopes médicaux précisément parce qu'on ne pouvait pas faire confiance au réacteur NRU pour être une « source fiable d'approvisionnement continu.  » C'est pourquoi les contribuables ont jeté de l'argent dans « l'égout  » nucléaire de Chalk River pour construire ces réacteurs. Tout le monde sait que le réacteur NRU de Chalk River est à bout de souffle. C'est pourquoi l'organisme de réglementation nucléaire, la CCSN, ne pouvait pas laisser le réacteur de plus de 50 ans continuer à fonctionner sans d'autres systèmes d'urgence. C'est pourquoi, en novembre dernier, la CCSN avait ordonné la mise hors service prolongée du réacteur NRU lors de son arrêt pour un entretien de routine.

Puisque la mise hors service définitive du réacteur NRU était prévue pour bientôt, EACL avait promis, en 1996, de construire les deux réacteurs MAPLE, afin de les destiner exclusivement à la production d'isotopes médicaux. Le budget prévu pour les réacteurs MAPLE 1 et 2 avait été fixé à 140 millions de dollars. À ce jour, EACL a dépassé le budget de plusieurs dizaines de millions de dollars, quoique le montant exact de l'excédent n'ait pas été rendu public. Les réacteurs ont bel et bien été construits. Leur construction est entièrement achevée. La raison pour laquelle EACL a laissé tombé le projet est cachée dans ce concept alambiqué :

« des problèmes techniques impossibles à résoudre »

Traduction : EACL n’a pas réussi à faire fonctionner les réacteurs.

Ces réacteurs devaient avoir un « coefficient de puissance de réactivité négatif », c’est à dire que la réaction nucléaire à l’intérieur du cœur du réacteur était censée ralentir au fur et à mesure que la puissance augmentait. C’est une mesure de sécurité. Mais au lieu de ralentir, la réaction s’accélérait. EACL n'a pas réussi à résoudre ce problème. N’aurait-il pas fallu s'en apercevoir avant d’achever la construction des réacteurs?

Ce fiasco devrait faire la une des quotidiens. Pourquoi n’est-ce pas le cas?

Tout journaliste entreprenant qui souhaiterait faire la lumière sur cette affaire avec un contenu étoffé pourrait poser les questions suivantes :

  1. Pourquoi la présidente de la CCSN, Linda Keen, a-t-elle été limogée alors que personne n'a encore été la cible de reproches chez EACL pour tout ce gaspillage de centaines de millions de dollars de l'argent des contribuables?
  2. Une question urgente qui s'adresse au gouvernement du Nouveau-Brunswick : êtes-vous bien certains de vouloir acheter d’EACL un réacteur qui n’en est encore qu’au stade de la conception? C’est exactement ce qui s’est passé avec les réacteurs MAPLE. Le gouvernement du Canada a acheté des réacteurs sur papier seulement. Comment quelqu’un pourrait-il faire confiance à EACL? Pourquoi acheter un réacteur nucléaire alors que toutes sortes d'autres possibilités existent pour le Nouveau-Brunswick?
  3. Quels sont les plans d’urgence pour la prochaine défectuosité ou la prochaine mise hors service du réacteur NRU? C’est loin d’être une situation hypothétique – c’est une certitude. Où la communauté médicale pourra-t-elle se procurer des radionucléides à des fins de diagnostique? Le réacteur NRU de Chalk River assure environ 40 p. cent de la production mondiale de molybdène 99. Le moment n’est-il pas venu d’alerter les producteurs des autres 60 p. cent afin qu’ils se préparent à augmenter leur production, au cas où? La réputation commerciale de MDS Nordion et d’EACL préoccupe-t-elle davantage le gouvernement que la sécurité de la production de molybdène 99? 

Le dossier nucléaire de Chalk River est mal géré depuis des dizaines d'années, mais Gary Lunn et le gouvernement Harper se distinguent du lot pour avoir blâmé (et renvoyé) le messager tout en récompensant l'organisme responsable d'avoir si mal servi l'intérêt public.