Dans sa chronique du National Post de samedi, Rex Murphy soutient que le Parti vert ne cherche rien d’autre que ma réélection en tant que députée, et qu’il en est ainsi depuis « deux ou trois élections ».
En fait, j’ai pris les rênes du Parti durant deux élections générales. Le Parti vert, contrairement aux autres partis représentés au Parlement, est solidement ancré à la base. Son chef n’est pas le patron et son élection n’a pas été une priorité avant 2011.
En 2008, notre stratégie électorale me poussait à venir en aide à d’autres candidats. Je me suis absentée de ma circonscription pendant plus de la moitié de la période électorale (y compris durant le lancement de la campagne nationale, à Guelph en Ontario). En 2011, conformément à la décision du Parti, j’ai concentré ma campagne dans ma propre circonscription. Je n’ai consacré que 12 jours à aider d’autres candidats et, qu’à cela ne tienne, je n’ai pas bénéficié d’un plus grand soutien financier que l’un des 300 et plus autres candidats du Parti vert pour sa campagne.
M. Murphy semble penser que la décision récente du Parti de ne pas présenter de candidat dans le Labrador émanait de moi seule. Mais une décision importante comme celle de se retirer d’une élection partielle est prise après consultations notamment avec les membres du Parti vert, le comité de la campagne fédérale et le Conseil fédéral élu (le Conseil est formé de volontaires provenant de chaque province et du Nord, y compris de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, et il est la structure de gouvernance du Parti).
Pour ce qui est de l’élection partielle qui aura lieu bientôt au Labrador, les membres du Parti vert ont tenu compte du fait qu’Élections Canada n’a pas encore terminé son enquête sur la violation des lois électorales dans ce comté. Il est clair aussi que Peter Penashue, le député conservateur sortant, a pris de l’avance dans ses préparatifs, sachant fort bien qu’une élection partielle serait déclenchée. Il est vrai que nous n’avons obtenu que 136 voix dans cette circonscription en 2011; mais M. Penashue ne l’a remporté que par 79 voix.
Il n’a pas été facile de prendre cette décision. Nous avions surpris les experts en novembre en passant à un cheveu près de nous emparer du siège « assuré » du NPD à Victoria et en remportant plus de 25 % des voix à Calgary-Centre. Au Labrador, la tentation de démontrer comment notre propre vote aurait pris du gallon était forte. Mais nous devions penser au risque de diviser le vote et de contribuer par le fait même à la réélection du candidat dont les violations des lois électorales avaient déclenché cette élection partielle en premier lieu.
La partie la plus déconcertante de l’article de M. Murphy est sa tentative de me dénigrer pour le soutien que j’ai apporté à la question de privilège posée récemment par Mark Warawa. Un refus lui a été opposé (par son propre Parti conservateur) de prononcer une déclaration en tant que député. M. Murphy a ridiculisé ma déclaration suivante : « nous [les députés] ne sommes pas ici en tant que membres d’une équipe ». Et M. Murphy d’enchérir : « c’est facile pour elle de dire une telle chose – le Parti vert n’est pas une équipe, il n’a qu’un joueur » (j’ai réfuté cet argument dans les paragraphes ci‑dessus). En lançant contre moi cette attaque mesquine, M. Murphy oublie un enjeu majeur: les députés ont des droits. Lorsque Gordon O’Connor, whip en chef du gouvernement, dépeint le Président de la Chambre comme un « arbitre » qui n’a pas le droit de reprendre les capitaines d’équipe au sujet de leurs joueurs, il enfonce le clou d’une notion fausse et dangereuse
En effet, comme l’ont fait remarquer les éminents politologues Peter Russell et Ned Franks, l’émergence de partis politiques puissants dirigés par des chefs capables de dicter à leurs ministres chacune de leurs interventions est une menace pour la démocratie. À cet égard, être Vert, c’est être différent. Personnellement, je lis chacun des projets de loi et je vote ensuite comme mes électeurs aimeraient que je vote. Mais autour de moi, à la Chambre des Communes, les députés des autres partis reçoivent une page d’instructions pour chaque projet de loi et pour chaque vote. Chaque jour, les députés se lèvent pour lire des attaques en règle contre les autres partis rédigées pour eux dans leurs officines.
Un principe fondamental du régime démocratique de type britannique veut que les députés soient élus pour représenter leurs électeurs. Les partis politiques n’existent pas en tant qu’entités protégées (ou même reconnues) dans notre Constitution, et ils ne sont pas indispensables à la gouvernance de notre pays. La comparaison entre les discussions parlementaires et un match de hockey est mauvaise. Le fait qu’une telle comparaison puisse être utilisée pour refuser à un député le droit de parler pendant 60 secondes tous les quelques mois montre que notre démocratie est en danger. La démocratie n’est pas un sport. M. Murphy devrait chercher à la protéger de ce qui la menace vraiment plutôt que de lancer des attaques sans fondement contre une députée qui défend nos institutions démocratiques.
Elizabeth May, chef du Parti vert du Canada, est députée pour Saanich-Gulf Islands. En 2012, le magazine MacLean’s lui a décerné son titre de « Parlementaire de l’année ».
Article paru originellement dans le National Post.