Les accords investisseur-État sont parfois associés ou mélangés avec les accords de libre-échange, mais ils ne sont pas pareils. Un accord de libre-échange rend accessibles à d’autres pays des secteurs d’une économie nationale. Un accord investisseur-État est différent. Par exemple, l’Accord sur les investissements Canada-Chine n’ouvre aucun nouveau secteur au commerce. La Chine refuse encore les investissements étrangers dans son secteur de l’énergie, mais est un grand acheteur d’entreprises énergétiques canadiennes.
Un Accord investisseur-État donne à une entreprise étrangère (un « investisseur ») le droit de réclamer des dommages d’un pays (un « État ») devant un tribunal privé. Il ne s’agit pas de recours judiciaires même si on utilise le mot « poursuite » très souvent. Il s’agit plutôt que demandes en dommages et intérêts arbitrées par un groupe de trois avocats – habituellement dans une salle d’un riche hôtel, quelque part. Le Chapitre 11 de l’ALENA a été le premier accord investisseur-État au monde. Vers la fin des années 1990, une tentative a été faite par l’entremise de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) pour étendre les principes du Chapitre 11 à tous les pays industrialisés. La proposition de l’OCDE était appelée Accord multilatéral sur l’investissement (AMI). Dans ce qui est vu comme la première bonne campagne des citoyens du monde sur Internet, le AMI a été rejeté. Les tenants des AMI se sont alors tournés vers des traités bilatéraux d’investissements. L’Accord sur les investissements Canada-Chine est l’un de ces accords.
Pourquoi les Canadiens devraient-ils se soucier des accords investisseur-État?
L’un des sujets fréquemment abordés lors de la dernière tournée des régions que j’ai faite dans des salles communautaires en janvier 2013 a été la menace que représente cet Accord sur les investissements Canada-Chine. Au moment d’écrire ces lignes, l’Accord n’a pas encore été ratifié. Même s’il s’agit d’une bonne nouvelle, l’Accord pourrait être ratifié n’importe quand par une décision du premier ministre et de son conseil des ministres. S’il est ratifié, l’Accord lierait le Canada et les gouvernements canadiens pour un minimum de 31 ans.
Ailleurs dans le monde, il y a eu une progression intéressante de ce type de traités souvent appelé accords sur la protection et la promotion des investissements étrangers (APIE). Récemment, l’Australie a entrepris une étude coûts-avantages sur les traités d’investissement, qui a montré que ce genre d’entente engendre des coûts beaucoup plus grands que les avantages. Depuis cette étude, l’Australie a adopté une position plus forte : ce pays a décidé de ne pas signer aucun autre accord de ce genre. Quant à l’Inde, elle a non seulement décidé de mettre de côté tout nouvel accord investisseur-État, mais a en plus décidé de renégocier tout accord existant qui contient des clauses investisseur-État. La nouvelle approche de l’Inde peut surprendre le premier ministre étant donné que l’automne dernier, Stephen Harper est revenu de l’Inde en affirmant qu’un accord investisseur-État était sur le point de se concrétiser. L’Afrique du Sud réexamine aussi ses accords investisseur-État, et un récent rapport international a montré que les coûts sociaux et monétaires de ce type d’accord allaient certainement influencer d’autres pays à réévaluer ce type de traités.
Est-ce que ces cas sont amenés devant des tribunaux?
Non. Ils vont en arbitrage. Trois avocats internationaux entendent la cause, habituellement dans une salle d’hôtel. Il n’y a aucun appel. Avant d’aller en arbitrage, les causes ne sont pas soumises aux tribunaux canadiens.
Si le terme « arbitrage international » peut sembler juste et neutre, il n’en est rien. Un récent rapport, Profiting from Injustice: How law firms, arbitrators and financiers are fuelling an investment arbitration boom, (Corporate Europe Observatory, Institut Transnational, Bruxelles, Amsterdam, novembre 2012), fournit certains détails troublants sur l’arbitrage mondial.
Le rapport concluait que :
« Au lieu d’agir en tant qu’intermédiaires justes et neutres, il est devenu évident que l’industrie de l’arbitrage a un intérêt particulier à perpétuer un système d’investissement qui place en priorité les droits des investisseurs au détriment de gouvernements nationaux démocratiquement élus… »
Voici certaines des principales constations du rapport :
- Il y a une augmentation énorme de cas similaires – de 38 en 1996 à 450 en 2011;
- Le coût moyen pour un pays qui se défend face à un investisseur est de 8 $ millions (US $) et a parfois atteint plus de 30 $ millions (US $);
- Des avocats spécialistes en arbitrage peuvent demander des tarifs de 1000 $ l’heure;
- Les pays pauvres doivent dépenser leurs maigres ressources pour se défendre contre des multinationales. Par exemple, les Philippines ont dépensé 58 $ millions pour s’opposer à une demande en dommages et intérêts d’un exploitant de l’aviation allemand, Fraport. Cette somme aurait pu payer le salaire de 12 500 enseignants pour une année;
- Un petit groupe d’avocats internationaux ont hérité d’une importante proportion de ces cas. Quinze avocats ont tranché 55 % de tous les différends sur les accords investisseur-État connus;
- Ces avocats sont souvent associés à des cabinets qui conseillent les gouvernements de signer de tels accords.
Est-ce qu’un accord investisseur-État est nécessaire pour poursuivre le commerce?
Non. Même si l’Australie n’a pas de traité investisseur-État avec la Chine, elle recueille la plus large part d’investissements chinois.
En 2012, les investissements de la Chine vers l’Australie atteignaient 51 $ milliards (US), devant les États-Unis (50,7 $ milliards) et surpassant de beaucoup le Canada (36,7 $ milliards).
Source : KPMG - Demystifying Chinese Investment (démystifier les investissements chinois), août 2012